L’approche de l’investissement focalisé (focus investing)

Voici un article invité de Martin Raymond du blog investir-a-la-bourse.com

L’APPROCHE DE L’INVESTISSEMENT FOCALISÉ (FOCUS INVESTING)

Lorsque je prends le temps de sélectionner des entreprises, de les étudier et d’y investir une somme importante de mes capitaux personnels, j’ai un but en tête: surpasser mon indice de marché comparatif. Sinon pourquoi perdre mon temps et mon argent ?

Pour une grande majorité d’investisseurs, l’achat d’un fond indiciel fera l’affaire. Il leur procurera le rendement du marché, soit grosso-modo 9% (dividende inclus) sur le très long terme, sans aucun effort quelconque de leur part.

Cependant, personnellement, j’estime que la diversification à grande échelle devrait être réservée à ceux qui ne savent pas ce qu’ils font. Pour un investisseur autonome sérieux et informé, l’approche de l’investissement focalisé convient beaucoup mieux, car elle centralise ses capitaux sur quelques entreprises remarquables, à fort potentiel, et augmente considérablement ses probabilités de surpasser le marché boursier dans son ensemble.

Dans sa lettre aux actionnaires de Berkshire Hathaway de 1994, Warren Buffett aborde le sujet de la concentration de son portefeuille d’actions.

«La stratégie que nous avons adopté va à l’encontre du dogme de la diversification comme il est enseigné. Plusieurs observateurs diront donc qu’elle est plus risquée. Nous ne sommes pas d’accord. Nous croyons qu’un portefeuille focalisé peut, en réalité, diminuer le risque s’il augmente, comme il se doit, l’intensité avec laquelle l’investisseur réfléchit à propos des entreprises dans lesquelles il investit ainsi que les caractéristiques économiques qui doivent être présentes avant qu’il décide d’y mettre son argent.»

Comme Buffet, je ne suis pas d’accord avec ceux qui affirment que détenir un portefeuille plus concentré est plus risqué. Personnellement, je pense que la meilleure façon de réduire le risque lié à la détention d’actions, c’est de faire ses devoirs, pas d’en multiplier le nombre dans son portefeuille.

J’attache peu d’importance au bêta ou à l’écart-type d’une action. Je ne m’expliquerai jamais le fait que si une action baisse de prix, elle est plus risquée, car son bêta ou son écart-type augmente. La réalité, pour moi, c’est que le risque diminue quand le prix demandé diminue.

Stephen Jarislowsky, celui que je pourrais qualifier de Warren Buffett canadien, abonde dans le même sens. Dans son livre «Dans la Jungle du Placement», il dit la chose suivante: «Supposons que vous avez 200 000$ à investir en bourse, pour constituer un portefeuille diversifié, vous devez détenir une vingtaine de titres distincts dans lesquels vous investirez environ 10 000$.» Remarquez qu’il ne parle pas de 100 ou 200 titres mais bien de 20 titres.

La première réaction des gens, en général, lorsqu’ils se font proposer d’investir dans un portefeuille focalisé est la suivante: « Et le risque? N’est-ce pas plus risqué de n’être investi que sur une poignée de titres ? »

Cette question mérite une réponse détaillée. Pour demeurer neutre vis à vis de la question, prenons deux indices de marché qui ne sont pas, par leur nature, gérés. L’un est composé de 500 titres, le S&P 500 et l’autre, de seulement 30 titres, le Dow Jones.

Les deux indices mesurent les mêmes secteurs économiques, leur corrélation étant de +0.95.

Un indice constitué de plusieurs actions se comportera de manière identique à un portefeuille constitué d’actions. Voilà donc, un exemple simple ayant pour but de valider un point essentiel: le fait de posséder plusieurs entreprises en portefeuille diminue-t-il réellement la volatilité d’un portefeuille d’actions?

Ce qui est intéressant, pour notre exemple, est que le S&P 500 contient toujours 500 titres tandis que le Dow Jones contient toujours 30 titres.

Comme cela, si je vous demandais lequel de ces deux portefeuilles boursiers comporte la plus grande volatilité, vous seriez sûrement tenté de me répondre le Dow Jones car il ne contient que 30 titres. Après tout, nous avons tous appris que la diversification réduirait le risque d’un portefeuille d’actions.

Maintenant, regardons les données ci-dessous:

*Les statistiques utilisées sont les écarts-types mesurés sur des périodes de 3, 5 et 10 ans.

années    Dow Jones    S&P 500

3 ans            11.1%        11.6%

5 ans            12.2%        13.2%

10 ans          13.7%        14.7%

L’indice Dow Jones, qui compte 470 entreprises de moins que le S&P 500, affiche une volatilité moindre!

Donc, oui, le fait de détenir plus de titres en portefeuille peut réduire le risque, mais ce n’est pas nécessairement un automatisme. Au delà d’un certain nombre d’actions en portefeuille, les effets de la diversification se font beaucoup moins sentir. Du moins, c’est ce que cet exemple nous permet de constater.

Certes, les sociétés incluses dans l’indice Dow Jones possèdent une capitalisation boursière moyenne supérieure à celle des entreprises composant le S&P 500. Il n’en demeure pas moins que cet exemple fait sourire… et réfléchir!

Supposons qu’un gestionnaire gère un portefeuille de 100 Millions$. Il opte pour une approche non focalisée et il diversifie ses capitaux sur une centaine de sociétés différentes. Il investit donc 1 Million$ par titre.

Suite à ses analyses, il découvre un titre dont la croissance anticipée sera supérieure aux autres, disons 15% au lieu de 12%. S’il a vu juste, au bout de 5 ans, le million aura doublé. S’il ne s’était pas donné autant de peine, et qu’il avait investi dans un titre moyen du marché, qui aurait rapporté 12%, le 1 Million$, 5 ans plus tard, vaudrait 1.76 Millions$. Un manque à gagner de 240 000$. Sur un actif de 100 Millions$, cela équivaut à 0.24%.

Si l’on répartit 0.24% sur 5 ans, cela donne moins de 0.05% annualisé de différence pour le portefeuille total.

Pourtant notre gestionnaire a sélectionné un titre qui a surpasser le marché de 3% par année (15% vs 12%)!

Mais l’impact est minime, car il n’a investi qu’un maigre 1% des capitaux disponibles dans ce titre.

Si ce gestionnaire est si bon, me direz-vous, il n’a qu’à faire des recherches et sélectionner 99 autres sociétés qui battront le marché par une marge de 3%, et le fonds performera de façon spectaculaire.

Sérieusement, selon vous, est-ce possible de dénicher 100 entreprises qui performeront de façon supérieure au marché? Ou est-ce moins ardu si l’on se limite à quelques sociétés en sachant que la variabilité n’évoluera que d’un minuscule 1%.

12 000 portefeuilles

Dans son second ouvrage sur Buffett, «Le portefeuille de Warren Buffett», Robert Hagstrom a mis au jour une étude statistique…qui a de quoi surprendre.

Le but de cette étude : isoler une seule variable, soit le nombre de titres en portefeuille et observer leur effet sur la possibilité de faire mieux, ou pire, que l’indice de référence S&P 500.

L’équipe de recherche aurait apprécié faire l’étude des gestionnaires qui utilisent la méthode de l’investissement focalisé (Focus Investing) mais leur nombre étant insuffisant, les résultats obtenus n’auraient pas été représentatifs.

Ils ont donc décidé de créer des portefeuilles fictifs et assemblés suivant une méthode aléatoire en utilisant un puissant ordinateur. La totalité des portefeuilles ont été construits à partir des 500 titres composants le S&P 500 auxquels ont été ajoutés 700 autres titres dont les données financières étaient facilement vérifiables, pour un total de 1 200 titres.

Quatre catégories de portefeuilles ont été créées: 250 titres, 100 titres, 50 titres et 15 titres. Pour les portefeuilles de 250 titres, 0.4% (1/250) des capitaux étaient investis dans chacun des titres choisi aléatoirement. Pour les portefeuilles de 100 titres, c’était 1% (1/100), pour les portefeuilles de 50 titres, c’était 2% (1/50) et finalement, pour les portefeuilles de 15 titres, c’était 6.7% (1/15).

Avec pour objectif d’obtenir des résultats significatifs, 3 000 portefeuilles ont été assemblés dans chacune des 4 catégories pour un total de 12 000 portefeuilles. Les rendements ont été calculés sur une période de 10 ans, de 1987 à 1996.

nombre de titres    meilleur rendement    pire rendement  nombre de portefeuilles ayant battu le S&P 500

250                                      16%                              11%                                              63/3 000

100                                      18%                              10%                                            337/3 000

50                                        19%                                9%                                          549/3 000

15                                          26%                                4%                                          808/3 000

Les 12 000 portefeuilles ont été assemblés au hasard. Il n’y a pas eu de choix de titres. Les résultas devraient être aléatoires.

Pourtant, les résultats sont clairs, lorsque le nombre de titres en portefeuille diminue, les chances de faire mieux que l’indice de référence, purement mathématiques et statistiques, augmentent de façon importante.

De façon plus précise, voici ci-dessous les chances de surpasser l’indice de référence pour chacun des portefeuilles types.

nombre de titres    % de chance de faire mieux que le S&P 500

250                                                        2.1%

100                                                      11.2%

50                                                        18.3%

15                                                          26.9%

Maintenant que nous savons que détenir moins de titres en portefeuille augmente les chances de surpasser un indice de référence,  pourquoi l’investissement focalisé (Focus Investing) est si peu utilisé par les gestionnaires de portefeuille?

Remarquez dans les données ci-haut, les rendements les plus faibles obtenus: 11% pour le portefeuille de 250 titres et 4% pour le portefeuilles de 15 titres. C’est cette possibilité qui effraie bon nombre d’investisseurs et de gestionnaires. La crainte de sous-performer empêchera certains d’utiliser cette méthode d’investissement.

Pourtant un investisseur qui pratique l’investissement en Bourse de manière sérieuse, affiche de la patience et est capable de vivre, de temps à autres, avec des périodes plus sombres, sera grandement récompensé avec l’investissement focalisé en surpassant le marché par une bonne marge sur le long terme.

En terminant, je vous laisse sur ses mots de l’illustre Peter Lynch, gestionnaire émérite pendant plusieurs années pour le compte de Fidelity Management.

«Détenir des actions, c’est un peu comme avoir des enfants – ne vous aventurez pas avec plus que vous ne pouvez gérer. L’investisseur amateur a probablement le temps de suivre de 8 à 12 sociétés. Vous n’avez pas besoin d’avoir plus de 5 à 10 entreprises en portefeuille simultanément»

Retrouvez sans plus attendre Martin Raymond du blog investir-a-la-bourse.com.

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9 réflexions au sujet de “L’approche de l’investissement focalisé (focus investing)”

    • @ Martin

      J’ai déjà eu des retours très positifs par mail.
      Ton article intéresse et est intéressant.
      Merci à toi
      Au plaisir
      Arnaud

      Répondre
  1. Bonjour,

    Amusante cette étude statistique sur les 12 000 portefeuilles qui a nécessité un ordinateur puissant.

    Je ne connais pas le livre cité ni le nom des auteurs de l’étude mentionnée, mais il me semble qu’ils viennent de retrouver un résultat connu : la loi des grands nombres. Plus un échantillon de population est grand, plus ses statistiques se rapprochent de la population complète. D’où les résultats obtenus, non ?

    L.

    Répondre
  2. Bonjour Arnaud !

    Cet article me fait un peu penser à ceux qui investissent sur des trackers (placements indexés sur des valeurs du type CAC 40 soit les 40 grosses entreprises françaises cotées en bourse) et ceux qui investissent dans des actions qu’ils ont soigneusement sélectionnées comme toi par exemple. Ceux qui investissent sur des trackers ne bénéficient pas de forts dividendes, d’actions gratuites, de rompus etc… Mon profil d’investisseur en bourse veux que je place sur le long terme et donc apparemment pas sur des trackers mais sur des actions bien précises.

    A bientôt Yves

    Répondre
  3. Pourquoi pas un mix entre des fonds de stock picking (portefeuille de 30 titres environ )sur l »Europe et un tracker du S&P 500 ou autre pour les US. On combine les frais moindres et une allcation d’actifs mixte. A tester en portefeuille fictif.

    Répondre
  4. Je viens de comparer sur les 5 dernières années la performance du S&P 500 vs le DJ GLOBAL 50 et résultat en performance annualisée :
    S&P 500 : 15%
    DJ GLOBAL 50 : 10%
    Avec une volatilité à peine supérieure pour le S&P 500 (moins de 2% de plus)

    Répondre
  5. Oui le fait de se contrer sur quelques valeur permet d’augmenter son expertise et de mieux connaitre les entreprises et quelques secteurs et d’avoir une vision plus acérée.
    Cela permet aussi de sélectionner la crème de la crème et d’être plus sélectif et de ne pas laisser dormir des valeurs dans le portefeuille.
    Beaucoup préconise de ne pas aller au dela de 4-5valeurs dans son portefeuille.
    Perso j’en ai quatre et je devrais en liquider une pour reprendre une nouvelle en 2016.

    Répondre
  6. Salut Martin, je suis d’accord avec toi ! Il vaut mieux investir dans 2-3 sociétés dont on est sûr que 20-30 sociétés pour faire « comme tout le monde »

    Nicolas

    Répondre

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